Une «taxe sur les transactions financières», c’est quoi? Tentative d’objectivation
La revoilà, la «taxe sur les transactions financières»! Une usine à gaz, rien que dans les termes. Trop souvent réinventée, trop souvent mal comprise. Confusion annoncée... essayons d’y voir plus clair!
Social Bookmarks
Contexte
Le 3 mars 2024, les électrices et les électeurs suisses ont accepté l’introduction d’une 13e rente AVS, ce qui revient à augmenter la rente annuelle de 8,3 %. Comment payer? Cela n’entrait pas dans le cadre de l’initiative. Aussi les milieux politiques se penchent-ils à présent sur l’épineuse question de savoir comment assurer le financement de la 13e rente AVS et comment stabiliser celui de l’AVS globalement. En particulier, le postulat 21.3440 charge le Conseil fédéral de montrer quelle forme il faudrait donner à une taxe sur les transactions financières en Suisse en vue de garantir le financement de l'AVS à moyen et à long termes. La motion 24.3106 charge quant à elle le Conseil fédéral d'élaborer les bases légales nécessaires pour instaurer une taxe sur les transactions financières.
Que cette idée soit pertinente ou pas, le débat public montre surtout une chose: la notion de «taxe sur les transactions financières» est tout sauf claire. En politique et dans les médias, voire entre expert.e.s de la fiscalité et au sein d’instances internationales spécialisées, on l’emploie dans des sens totalement différents. Il semble donc opportun de commencer par définir un certain nombre de notions.
Vue d'ensemble
Commençons par rappeler que «taxe sur les transactions financières» ou – ce qui revient au même! – «taxe sur les transactions réalisées sur les marchés financiers» – est une notion générique qui désigne toute une catégorie de taxes. Les explications qui suivent se réfèrent au graphique ci-dessous:
Taxes sur les transactions
Comme leur nom l’indique, les taxes sur les transactions financières font partie des taxes sur les transactions. Ces dernières frappent les transferts entre deux parties, non ces parties elles-mêmes (elles ne sont pas de nature personnelle). Certes, la loi oblige formellement une des parties à s’acquitter de la taxe, mais peu lui importe que cette taxe soit ensuite répercutée sur autrui en tout ou en partie. Tel est en général le cas des taxes sur les transactions, c’est-à-dire qu’économiquement, la personne qui est redevable de la taxe n’est pas celle qui la paye. Un exemple de ces taxes (indirectes) présentes au quotidien? La taxe sur la valeur ajoutée, que tout restaurant verse, mais que le client paye puisqu’elle figure sur sa facture. De même, les taxes sur les transactions financières ne pèsent pas sur les banques, mais sur toute personne qui effectue des transactions financières (p. ex. à des fins de prévoyance vieillesse). Elles pèsent donc sur chacune et chacun d’entre nous!
Taxes sur les transactions juridiques
Les taxes sur les transactions financières font partie des taxes sur les transactions juridiques. Celles-ci frappent les transferts de droits, dont font partie les titres. La «micro-taxe» n’est donc pas une taxe sur les transactions juridiques, ni a fortiori une taxe sur les transactions financières, même si on l’y assimile volontiers. Il s’agirait plutôt d’une taxe sur les transactions monétaires, puisque l’idée est de frapper les flux de paiement. Il n’y a jamais eu de «micro-taxe» nulle part dans le monde, ce serait donc une expérience unique en son genre! Tout juste certains pays en situation de crise monétaire (p. ex. l’Argentine ou le Venezuela) prélèvent-ils des taxes partielles sur les transactions monétaires en devises, car elles font office de contrôles des capitaux.
Taxes sur les transferts de capitaux
Les taxes sur les transactions financières sont des taxes sur les transferts de capitaux. Celles-ci frappent les transferts de droits sur des capitaux, dont principalement les titres. Ne sont pas des taxes sur les transferts de capitaux, par exemple, l’impôt sur les successions ou les donations ainsi que les droits de mutation en cas de cession immobilière. Les taxes sur les transferts de capitaux entraînent fréquemment une double imposition, car les titres ne font que matérialiser des actifs réels (p. ex., s’agissant d’actions, des parts dans des entreprises) qui sont déjà intégralement taxés! C’est une des raisons pour lesquelles elles sont contestées.
Les taxes sur les transactions financières peuvent prendre des formes très différentes. Ainsi les droits de timbre (droit de timbre d’émission et droit de timbre de négociation) prélevés en Suisse depuis 1918 sont-ils une des taxes sur les transactions financières les plus étendues au monde. Les rares pays étrangers qui appliquent des taxes sur les transactions financières les restreignent quant à eux à certaines valeurs mobilières (p. ex. les dérivés), à certaines parties (p. ex. les investisseuses et les investisseurs professionnels) ou à certaines transactions (p. ex. les transactions à haute fréquence). Cette diversité des taxes sur les transactions financières n’en change pas pour autant la nature, de sorte que l’idée d’instaurer une telle taxe n’a rien de nouveau ni d’original. Elle est déjà mise en œuvre!
Taxes sur les émissions
Les taxes sur les émissions sont des taxes sur les transactions qui frappent les transferts de capitaux sur le marché primaire. Sur ce marché, l’actif réel (p. ex. une part dans une entreprise) est titrisé (action) et ce titre est proposé à la vente pour la première fois. On y trouve donc, d’une part, des entreprises qui veulent créer ou développer leurs activités et, d’autre part, des investisseuses et des investisseurs prêts à investir leur argent dans ces entreprises. En prélevant un droit de timbre d’émission, la Suisse taxe déjà le financement de ses entreprises par des fonds propres – et pénalise ainsi directement leur création et leur développement!
Taxes de Bourse
Les taxes de Bourse sont des taxes sur les transactions qui frappent les transferts de capitaux sur le marché secondaire. Sur ce marché, les titres se négocient de manière récurrente. On y trouve donc des investisseuses et des investisseurs qui souhaitent investir leur argent dans des entreprises (acheteurs) et d’autres qui ne le souhaitent plus (vendeurs). En prélevant un droit de timbre de négociation, la Suisse taxe déjà les actions (fonds propres titrisés), les obligations (crédits titrisés) et les fonds suisses et étrangers – et pénalise ainsi indirectement la création et le développement de ses entreprises en renchérissant leur financement sur le marché des capitaux!