Opinions
01.11.2019

De la mutation structurelle des banques et des effets trompeurs des statistiques...

Les chaînes de création de valeur des banques s’étendent de plus en plus aux secteurs sous-traitants, de sorte qu’une simple statistique ne suffit plus pour appréhender l’évolution du secteur bancaire. Il faut une vision plus large. Et ce qui apparaît alors, c’est que les banques, grâce à une intense collaboration avec des entreprises tierces, sont compétitives et demeurent un pilier porteur de l’économie suisse.
Article deThomas Rühl

Autrefois, un seul bâtiment pouvait abriter toute une banque: dans le hall d’entrée les guichets, les bureaux des employés à l’arrière, la salle des coffres au sous-sol. Au premier étage les espaces feutrés réservés au conseil, au grenier les archives. De l’extérieur, il était relativement facile de comprendre l’organisation et de connaître l’effectif: de l’apprenti à la directrice en passant par la comptable et le guichetier, tout le monde était directement employé par la banque. L’ensemble de la chaîne de création de valeur était réuni sous un même toit.

Les choses ont bien changé dans le secteur bancaire d’aujourd’hui. Les chaînes de création de valeur ont pris une ampleur internationale, elles s’étendent de plus en plus à d’autres secteurs. Les banques multiplient les collaborations avec des prestataires extérieurs. Comme le font d’autres entreprises, elles confient à des tiers les activités non essentielles comme l’intendance, l’entretien des locaux, ou encore une partie de l’informatique et diverses fonctions importantes. Cela va parfois plus loin encore: il arrive par exemple qu’une entreprise externe fournisse la totalité des services de trafic des paiements, c’est-à-dire une prestation essentielle. La spécialisation et la mutation technologique au sein du secteur bancaire n’ont fait qu’accentuer cette évolution.

En vertu de prescriptions comme celles de la législation «too big to fail», les grandes banques sont tenues d’élaborer des plans de liquidation en cas de faillite. Dans un pareil scénario, des «points de rupture théoriques», comme l’externalisation d’infrastructures à des entreprises de services spécialement créées à cet effet, peuvent minimiser les dommages collatéraux. Ces entreprises sont souvent des filiales qui travaillent exclusivement pour leur société mère. Leurs collaboratrices et collaborateurs fréquentent le même bâtiment qu’avant, le même aussi que leurs collègues toujours employés par la banque. Ils exercent la même activité qu’avant – mais, sur le papier, ils ne font plus partie du personnel bancaire.

En termes d’économie globale, cet effet à lui seul n’a guère induit de changements. Mais dans les statistiques, les postes correspondant aux fonctions externalisées et la valeur ajoutée qu’ils génèrent ont été transférés du secteur bancaire à d’autres secteurs: conseil aux entreprises, centres d’appel, informatique ou autres prestations de services. Ce qui compte pour le succès économique de la Suisse, ce sont les prestations demandées, l’efficacité avec laquelle elles sont fournies, ainsi que la pérennité de la production nationale.

Entre 2013 et 2017, le taux de consommation intermédiaire des banques, c’est-à-dire la part de la valeur de production générée par des entreprises tierces pour les banques, a enregistré une hausse significative, passant de 42 % à 52 % sur seulement quatre ans. Entre 2016 et 2017, selon les statistiques fédérales, les grandes banques ont perdu 9 850 emplois en équivalents plein temps, tandis que les entreprises de conseil – croyez-le si vous voulez – en gagnaient précisément 9 850. Les statisticiens se seraient-ils contentés de déplacer ces emplois en bloc d’un secteur à l’autre?

La concordance exacte des chiffres est sans doute un hasard. Ce qui est déterminant, c’est l’effet statistique selon lequel certaines des personnes concernées ne figurent plus parmi le personnel bancaire, mais sont attribuées désormais à un autre secteur. Elles n’apparaissent donc plus dans les statistiques bancaires, ce qui n’a guère d’impact sur la réalité économique.

Cela montre pourtant une chose: la chaîne de création de valeur des banques s’étend de plus en plus aux secteurs sous-traitants. Et une autre chose: les statistiques sont trompeuses. Bien souvent, un seul chiffre – par exemple, le chiffre de l’emploi dans les grandes banques – ne suffit pas pour comprendre l’activité d’un secteur et son évolution.

Les banques en Suisse connaissent une mutation structurelle qui a aussi ses revers: on le sait depuis longtemps. Cette mutation les rend mieux aptes à affronter l’avenir: c’est vrai. Mais qu’elle soit aussi massive que le laisse à penser un simple regard sur les chiffres de l’emploi, à l’évidence, c’est faux.

En dépit des incertitudes, des processus d’adaptation en cours et des défis économiques auxquels elles sont confrontées, les banques en Suisse affichent un développement solide. Les actifs sous gestion augmentent grâce à des afflux nets d’argent frais – et pas seulement grâce à l’évolution favorable des marchés financiers. Les bénéfices augmentent eux aussi. Pas au même rythme qu’avant la crise financière, mais de manière plus durable.

Hausse du taux de consommation intermédiaire des banques - Catégories NOGA 64, partiellement 661; 2017p: prévision - Source: OFS, compte de production

Rédacteurs

Thomas Rühl
Ancien Responsable analyses sectorielles et études spécialisées
+41 58 330 62 04