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21.03.2024

EAR étendu aux crypto-actifs: quelles implications pour les banques?

De plus en plus de banques offrent à leur clientèle la possibilité d’investir dans des crypto-actifs. A partir de 2026, en vertu d’une nouvelle norme de l’OCDE, ces derniers devront être déclarés. Il serait donc bon que les banques vérifient en temps utile dans quelle mesure elles sont concernées.

Les placements crypto en passe de rejoindre le mainstream réglementé

Les crypto-actifs, tout le monde en parle à nouveau! Le rude crypto winter semble céder la place à un printemps radieux et le cours du bitcoin, véritable baromètre du secteur tout entier, pourrait bien atteindre de nouveaux sommets. Cette nouvelle dynamique est impressionnante y compris sur la place financière suisse, même si les investissements ou les applications quotidiennes crypto ont encore du chemin à faire pour devenir mainstream. Plusieurs banques de détail ont lancé tout récemment des offres crypto. Les clientes et les clients sont ainsi de plus en plus nombreux à pouvoir investir en crypto-actifs par le biais de leur banque principale et encaisser le cas échéant les plus-values espérées. Divers indices portent à croire que bien d’autres banques suivront le mouvement à brève échéance et que les solutions de placement crypto se diffuseront largement sur le marché suisse de masse.

Entrée en vigueur du CDC en Suisse dès janvier 2026

L’OCDE a présenté à l’automne 2022 le Cadre de déclaration des crypto-actifs (CDC), un dispositif d’échange automatique de renseignements (EAR) spécifique aux actifs numériques. Elle a décidé en 2023 qu’il s’agissait d’une norme minimale contraignante. La Suisse est en train d’élaborer un projet de loi y relatif, qui devrait être mis en consultation en mai prochain pour une entrée en vigueur prévue le 1er janvier 2026. Concrètement, cela signifie qu’à partir de cette date, en vertu des prescriptions du CDC, les prestataires de services sur crypto-actifs devront documenter leurs clientes et leurs clients et, dès lors que ces derniers résident à l’étranger, effectuer une déclaration auprès de l’Administration fédérale des contributions (AFC). L’AFC transmettra ensuite ces informations à l’Etat de résidence des clientes et des clients concernés. L’objectif est d’assurer ainsi une transparence fiscale sans faille dans le domaine des actifs numériques, comme c’est déjà le cas pour les actifs traditionnels depuis l’entrée en vigueur de l’EAR et du FATCA (US Foreign Account Tax Compliance Act).

Sur le principe, l’égalité de traitement entre les différents prestataires de services financiers est une excellente nouvelle du point de vue des banques. Mais l’introduction d’un régime fiscal de déclaration applicable à une activité de masse génère pour elles – l’expérience de l’EAR et du FATCA l’a prouvé – un énorme surcroît de travail. Il serait donc bon qu’elles se penchent en temps utile sur le CDC et vérifient si elles sont concernées ou pas. Quant aux banques qui ne se sont pas (encore) positionnées comme banques crypto, nous leur recommandons de se faire une première idée des exigences spécifiques au CDC. Les développements ci-après les y aideront.

Crypto-actifs concernés: le critère de la cryptographie

L’applicabilité du CDC dépend au premier chef de la nature de l’actif négocié ou détenu par la cliente ou le client. Entrent dans le périmètre du CDC, par définition, tous les actifs numériques qui reposent sur la cryptographie ou sur une technologie similaire et qui sont utilisés à des fins d’investissement ou de paiement. En d’autres termes, toute banque est tenue d’appliquer le CDC dès lors qu’elle entre en contact avec les actifs concernés sous quelque forme que ce soit. Tel est par exemple le cas lorsqu’elle met des dépôts crypto à la disposition de sa clientèle, lorsqu’elle conserve des crypto-actifs pour le compte de cette dernière ou lorsqu’elle accepte des ordres d’achat ou de vente de crypto-actifs.

La définition des actifs concernés au sens du CDC se fonde sur la cryptographie en tant que caractéristique purement technique. Le bitcoin par exemple – le crypto-actif le plus populaire – repose sur la cryptographie et entre donc indéniablement dans le périmètre du CDC. En revanche, une action ou une obligation classique rendue négociable par titrisation ne remplit pas le critère de la cryptographie et doit être déclarée au titre de l’EAR existant, mais pas au titre du CDC. De même, un ETF bitcoin ou un produit structuré titrisant une crypto-monnaie sous-jacente n’est pas considéré comme un crypto-actif relevant du CDC, car il s’agit d’un produit financier traditionnel. Il est donc à déclarer exclusivement au titre de l’EAR en tant qu’actif financier. En revanche, par opposition à la titrisation traditionnelle, un jeton résultant de la tokenisation d’un papier-valeur – action ou obligation d’entreprise par exemple – constitue un crypto-actif concerné au sens du CDC. Dans la mesure où les critères sont, pour le CDC, «l’enveloppe» technique, et pour l’EAR, la fonction de l’actif, un tel jeton devrait être déclaré non seulement au titre du CDC, mais aussi au titre de l’EAR en tant qu’actif financier. L’introduction du CDC entraîne donc dans ce cas une double déclaration obligatoire, ce qui est un inconvénient pour les projets visant à développer la tokenisation d’actifs traditionnels.

Graphique: répartition des actifs selon qu’ils relèvent de l’EAR ou du CDC (non exhaustif

Même les banques qui ne proposent pas de prestations de services crypto à l’heure actuelle et ne pensent donc pas devoir appliquer le CDC devraient connaître la définition des crypto-actifs concernés par ce dispositif. C’est pour elles le seul moyen de s’assurer qu’elles ne sont pas en contact avec des crypto-actifs sans le savoir, ce qui ferait d’elles des prestataires de services sur crypto-actifs déclarants au sens du CDC.

Banques concernées: les banques crypto, mais pas seulement

Le CDC a une conception large de la catégorie des prestataires de services sur crypto-actifs déclarants. Selon sa définition, il s’agit des personnes qui proposent à titre professionnel des prestations de services en relation avec des crypto-actifs effectuées pour le compte ou au nom de clientes et de clients, ou qui mettent une plateforme de négociation à disposition. Les transactions concernées sont les échanges entre monnaies fiduciaires et crypto-actifs, les échanges entre une ou plusieurs formes de crypto-actifs ainsi que les transferts de crypto-actifs. Toute banque qui se positionne comme banque crypto doit à l’évidence appliquer le CDC. Les banques traditionnelles qui proposent une offre crypto et collaborent pour cela avec une banque crypto sont aussi, de prime abord, des prestataires de services sur crypto-actifs déclarants au sens du CDC. Cela vaut également lorsque ces banques n’assurent pas elles-mêmes la conservation des crypto-actifs de leur clientèle, mais confient les échanges entre monnaies fiduciaires et crypto-actifs à des tiers et se bornent à enregistrer les portefeuilles dans leurs dépôts.

De nombreuses banques opérant dans ce domaine ne proposent encore que des offres crypto très limitées. Par exemple, sur le marché de masse, ces offres se cantonnent fréquemment à une petite gamme de crypto-actifs et il n’est pas possible de créditer ou débiter des jetons. Par ailleurs, les banques réservent souvent leurs offres crypto à la clientèle domiciliée fiscalement en Suisse, de sorte qu’elles n’ont aucune déclaration à effectuer – ni au titre de l’EAR, ni au titre du CDC. Quoi qu’il en soit, il leur appartient de veiller à respecter les exigences du CDC et de prévoir les processus requis, par exemple pour le cas où un client crypto déménagerait à l’étranger et où il en résulterait une obligation de déclaration. Sans compter que les banques suisses ne cessent de développer leurs offres crypto et qu’il est peu probable qu’elles en priveront durablement leur clientèle internationale. 

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Andreas Rohrer
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