Taxe numérique de l’OCDE: encore bien des points d’interrogation
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La devise de l’OCDE, «better policies for better lives», est aussi ambitieuse que vague. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’au siège parisien de l’organisation, on s’attelle à de très grands projets. L’un des objectifs actuels de l’OCDE est de «relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique».
Toutefois, l’intitulé de ce projet est trompeur, dans la mesure où les entreprises numériques ne sont pas les premières visées. Ce que vise l’OCDE, c’est une refonte totale du système international en vigueur en matière d’imposition des entreprises. Nul ne conteste que ce système désormais dépassé mérite d’être modernisé, tant il est vrai que la mondialisation et la mutation technologique ont transformé l’économie internationale en profondeur. Mais s’agissant de l’orientation concrète du projet, on est loin d’une vision commune.
De nouvelles sources de revenus pour surmonter les crises
Pour les Etats qui font autorité au sein de l’OCDE, trouver de nouvelles sources de revenus est une priorité absolue. Cet objectif politique revêt plus que jamais un caractère d’urgence en raison de la pandémie de COVID-19 et des montants énormes dépensés pour surmonter la crise. Demander une taxation accrue des groupes internationaux apparaît donc politiquement opportun, d’autant plus que certains de ces groupes ont parfaitement su gérer la crise jusqu’ici. C’est d’ailleurs dans ce même contexte que s’inscrivent les travaux de l’Union européenne (UE) visant à introduire de nouvelles taxes, selon une initiative récente intitulée «Taxe sur le numérique».
Au niveau de l’OCDE, on propose, d’une part, de redistribuer partiellement les droits d’imposition des bénéfices en les transférant des pays de production vers les juridictions de marché (premier pilier) et, d’autre part, d’instaurer un taux d’imposition minimum mondial sur les bénéfices des entreprises (deuxième pilier). Malgré de longues années de travail, les propositions soumises au débat restent très générales et ne contiennent toujours pas de chiffres concrets, par exemple en ce qui concerne le taux d’imposition minimum ou l’ampleur réelle de la redistribution. Il est prévu de déterminer ces éléments décisifs ultérieurement et au niveau politique.
L’objectif de l’OCDE est que les deux piliers soient approuvés lors du sommet du G20 qui se tiendra fin octobre 2021 à Rome. Ce calendrier est extrêmement ambitieux au vu de la complexité de la tâche, mais aussi et surtout parce que certaines grandes puissances économiques campent sur des positions diamétralement opposées.
Les banques non directement visées par le projet de l’OCDE
Quelle que soit la configuration concrète du projet de l’OCDE, des difficultés s’annoncent pour la place économique suisse et pour les entreprises qui y sont établies. Mais pour une fois et heureusement, à en croire les propositions actuelles de l’OCDE, les banques ne sont pas dans la ligne de mire. Bien au contraire, le secteur bancaire et quelques autres devraient être exclus du premier pilier. Cette exception concernant les banques est motivée à juste titre par le haut niveau de réglementation du secteur, matérialisé notamment par la licence bancaire et par la territorialité en résultant. Si les projets concernant le premier pilier vont plus loin, il faudra définir précisément le champ d’application de cette exception au moyen de critères efficaces.
S’agissant du deuxième pilier en revanche, le taux d’imposition minimum mondial s’appliquerait à toutes les entreprises internationales à partir d’une certaine taille, et donc à quelques banques suisses. La limitation de la concurrence fiscale internationale par les Etats à fiscalité élevée, telle que la prévoit le deuxième pilier, nuira principalement aux pays exportateurs comme la Suisse. Lors des travaux à venir concernant le deuxième pilier, il appartiendra donc aux milieux économiques de faire front commun pour défendre un certain nombre de principes essentiels comme l’opérationnalité et la sécurité juridique. A l’aide de mesures d’atténuation appropriées, il faudra aussi veiller à préserver l’attrait de la place suisse dans un environnement concurrentiel en mutation.