Une stratégie pour les données: l’autodétermination numérique en ligne de mire
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Les données, nouveau pétrole de l’économie numérique
Notre empreinte numérique est de plus en plus forte. L’utilisation d’appareils mobiles comme les smartphones et les tablettes, en particulier, accroît de manière exponentielle la quantité de données que nous produisons quotidiennement: en 2019, en moyenne par minute, on a échangé plus de 41 millions de messages sur WhatsApp ou Facebook Messenger, «swipé» 1,4 million de fois sur Tinder, dépensé près d’un million de dollars pour des achats en ligne1 . Et selon le Forum économique mondial, d’ici à 2025, nous génèrerons à travers le monde quelque 463 exabytes (EB) de données, soit l’équivalent de plus de 200 millions de DVD – chaque jour2 !
Le rôle des données dans la lutte contre le coronavirus
Les efforts actuels pour endiguer le coronavirus sont emblématiques des possibilités qu’offre la nouvelle économie des données. Face à cette pandémie, les connaissances et les décisions basées sur des données peuvent changer la donne: par exemple, en Corée du Sud, les autorités gouvernementales utilisent les systèmes de géolocalisation des smartphones, les données des cartes de crédit et les enregistrements des caméras de surveillance pour suivre à la trace les personnes infectées par le coronavirus et ainsi mieux comprendre la chaîne de transmission. En outre, des données anonymisées sur les déplacements, associées à d’autres données sur la densité de population dans certaines zones, permettent d’anticiper la propagation du virus. Cet exemple illustre ce que la technique permet déjà de faire très facilement. Mais la question cruciale est de savoir jusqu’où l’on peut aller dans l’exploitation des données personnelles. Et dans quelle mesure cette exploitation est conforme à la volonté des individus concernés et s’effectue avec leur assentiment.
Les fossés culturels en matière de protection des données
Une économie et une société de plus en plus basées sur les données nécessitent des règles qui fixent les modalités de collecte et d’utilisation des données, que ces dernières soient personnelles ou non. Comment aménager ces règles, à qui doit revenir le contrôle sur les données? Tels sont les enjeux cruciaux. A l’échelon international, on observe de véritables fossés culturels en matière de protection des données. Ainsi, la maîtrise des données appartient principalement à l’Etat en Chine, mais aux grandes entreprises (BigTech) aux Etats-Unis. En Europe, on évolue de plus en plus vers l’autodétermination numérique et la souveraineté des consommateurs: la Commission européenne vient de franchir un nouveau pas en ce sens.
Graphique 1: la protection des données en comparaison internationale Source: ASB, d’après Axon Active
L’Europe jette les bases de l’autodétermination numérique
En février 2020, la Commission européenne a publié une nouvelle stratégie pour les données. Celle-ci vise à mettre à disposition davantage de données – principalement des données non personnelles – pour relever les défis économiques et sociétaux. Dans le même temps, il s’agit aussi de faire en sorte que les producteurs de données, c’est-à-dire les citoyennes et les citoyens, gardent le contrôle sur leurs données: les mesures préconisées à cet effet sont par exemple de mettre en place des règles transparentes et équitables en matière d’accès aux données et d’utilisation des données, ou encore de doter les utilisateurs de droits, d’outils et de compétences. La stratégie européenne pour les données met aussi l’accent sur le développement des infrastructures, en particulier des capacités du cloud: cela permettrait à l’Europe de traiter et de stocker sur son territoire les données de plus en plus volumineuses qu’elle génère, mais aussi – et ce n’est pas le moindre des avantages – d’être moins dépendante des entreprises technologiques internationales, le plus souvent américaines.
Parallèlement à sa stratégie pour les données, la Commission européenne a publié une communication intitulée «Façonner l’avenir numérique de l’Europe» ainsi qu’un livre blanc sur l’intelligence artificielle, où elle explique comment elle entend soutenir et promouvoir le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’ensemble de l’Union européenne (UE). Par ces travaux, l’UE a jeté des bases importantes pour la future organisation de l’économie des données, au moins sur son sol, tout en mettant en lumière le rôle des données et de l‘intelligence artificielle dans l’économie globale. Les objectifs de l’UE sont ambitieux, le calendrier serré. De premières mesures devraient être prises dès cette année. On verra donc sans tarder si les paroles – nombreuses – se traduisent par des actes.
La Suisse doit se positionner
La gestion des données est une question qui ne manque pas de se poser en Suisse, appelant un positionnement. Afin de préserver la compétitivité et la capacité d’innovation de notre place économique, nous devons en effet exploiter les données en notre possession, qui sont un véritable trésor. Les banques et les données financières des clients, en particulier, jouent à cet égard un rôle essentiel. Il est important que, dans la nouvelle concurrence qui fait rage au sein de l’économie des données, les banques ne soient pas défavorisées.
Attachée à une approche démocratique et à la protection de la sphère privée, la Suisse a tout intérêt à s’inspirer du modèle européen. Ce dernier peut contribuer à la positionner comme un havre de sécurité et de confiance. A tous les niveaux, l’heure est donc venue de poser des jalons, et ce sans retard. Il en va en fin de compte de l’autodétermination numérique des citoyennes et des citoyens suisses.
1 https://www.visualcapitalist.com/what-happens-in-an-internet-minute-in-2019/
2 https://www.weforum.org/agenda/2019/04/how-much-data-is-generated-each-day-cf4bddf29f/