Assistance administrative fiscale: merci de ne pas déconstruire la protection juridique!
La Suisse accorde une grande importance à la sécurité juridique, dont fait partie la protection juridique des personnes en cas de procédure. Dans un communiqué laconique du 19 mars 2024, les autorités fédérales ont annoncé que désormais, elles ne protégeraient plus les personnes tierces dans le cadre de l’échange de renseignements avec des autorités étrangères. Est-ce légal?
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Voici déjà des années que la Suisse échange des renseignements avec les autorités fiscales d’autres pays lorsque celles-ci le lui demandent. Elle a repris dès 2009 la norme de l’OCDE dite «article 26» applicable à ces échanges de renseignements sur demande. Très bien. Mais à présent, les autorités suisses semblent étendre à bas bruit cette norme et vider de sa substance la protection juridique des personnes tierces. Qu’en est-il?
Le principe de la spécialité en matière de personnel
Dans un communiqué du 19 mars 2024 publié en toute discrétion, le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI) a fait savoir que l’OCDE avait complété son commentaire de l’article 261. Ce complément autorise expressément les Etats à transmettre et à utiliser les données de personnes qui n’étaient pas mentionnées dans la demande de renseignements – des tiers probablement non concernés. Jusqu’à présent, la Suisse accordait une protection juridique à ces tiers – p. ex. le collaborateur d’une banque dont le nom figure sur une pièce justificative, ou le dentiste dont la facture a été payée par virement bancaire – et ne transmettait pas leurs données personnelles sauf demande expresse. Cela permettait d’éviter la divulgation des données de milliers de personnes non concernées par les investigations. Dans leur jargon, les juristes appellent cela le principe de la spécialité en matière de personnel. Cette pratique de la Suisse a été confirmée en dernier lieu en 2020 par un arrêt du Tribunal fédéral.
Un changement de pratique sans base légale?
Ce que le SFI a annoncé le 19 mars 2024, c’est que cette pratique avait été «précisée» et que la nouvelle interprétation de l’OCDE serait mise en œuvre immédiatement. En d’autres termes, les autorités entendent abandonner le principe de la spécialité en matière de personnel dès à présent, au motif que l’OCDE a modifié son commentaire.
Il faut toutefois savoir une chose: ce commentaire ne constitue pas la base légale contraignante ou directement applicable. Les textes juridiquement déterminants en Suisse sont les conventions contre les doubles impositions (CDI) prévoyant l’assistance administrative ainsi que la loi sur l’assistance administrative fiscale en vigueur. Ceux-ci sont plus anciens que le récent commentaire de l’OCDE et interdisent de transmettre les données de personnes tierces. Le bureau de l’OCDE à Paris ne peut pas modifier par voie d’interprétation le droit suisse en vigueur. Si la Suisse souhaite abandonner le principe de la spécialité en matière de personnel, ce dont on ne saurait bien sûr que la dissuader, il faudrait d’abord qu’elle renégocie ses CDI et qu’elle modifie la loi sur l’assistance administrative fiscale. Dans un arrêt récent de 2023, le Tribunal fédéral a soutenu ce point de vue en se prononçant expressément contre une utilisation dynamique du commentaire de l’OCDE.
Conclusion
Les autorités suisses vont devoir expliquer en détail cette «précision» apportée à la pratique sous l’angle de la légalité. Une interpellation parlementaire a déjà été déposée à ce sujet2. Plutôt que de les abandonner sans raison, la Suisse devrait défendre ses principes en matière de protection juridique.