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16.06.2022

De l’argent programmable en tant que bien public? L’ASB intensifie ses travaux

Les possibilités d’utilisation des monnaies numériques étant nombreuses, le grand public est de plus en plus demandeur d’argent programmable. Les banques centrales ou les intermédiaires assujettis à une surveillance devraient en être les principaux émetteurs. Optimiser la configuration du futur système monétaire est un enjeu prioritaire pour l’Association suisse des banquiers (ASB). 

«La monnaie numérique [...] peut offrir une grande valeur ajoutée sociale et économique. Il ne s’agit donc pas de savoir si, mais seulement quand et sous quelle forme elle sera introduite et largement utilisée.» Ainsi s’exprimait l’ASB dans un document de réflexion publié il y a un an. Depuis lors, on voit de mieux en mieux quelles formes prendra la monnaie numérique largement utilisée. En effet, les crypto-monnaies basées sur des algorithmes restent extrêmement volatiles, de sorte qu’elles sont impopulaires chez les régulateurs et inadaptées comme moyen de paiement au quotidien. Les stablecoins, basés sur des actifs de valeur mais non réglementés, ne tiennent pas leurs promesses en cas de crise. Quant aux monnaies numériques de banque centrale destinées au grand public, elles sont un casse-tête en termes de politique monétaire et engendrent des risques de stabilité. L’avenir appartient donc aux monnaies numériques émises par des fournisseurs réglementés, comme la monnaie scripturale tokenisée des banques, ou aux monnaies à vocation spécifique, destinées par exemple aux opérations de règlement dans le cadre de systèmes de négoce.

Le cap politique: réglementer les stablecoins

Selon le Conseil de stabilité financière, les stablecoins et les marchés de crypto-actifs internationaux non réglementés constituent de manière générale un risque pour la stabilité du système financier mondial. En raison de leur capitalisation en augmentation constante, de leurs faiblesses structurelles et de leur intrication croissante avec le système financier traditionnel, ils pourraient en venir à représenter une menace. Le Conseil de stabilité financière, en coopération avec les instances de normalisation, travaille sur les questions de réglementation et de surveillance des stablecoins. Il analyse également les impacts de la decentralized finance (DeFi), un champ thématique en pleine expansion dans lequel les stablecoins jouent un rôle central.

L’élément clé de la réglementation à venir est l’obligation faite aux émetteurs de stablecoins largement disponibles d’être réglementés et assujettis à une surveillance adéquate, de façon à pouvoir garantir la valeur des actifs sous-jacents en toute transparence. C’est la seule manière de protéger le grand public contre les fluctuations de valeur des moyens de paiement numériques et de favoriser ainsi leur acceptation et leur diffusion rapide. Il est prévu également de réglementer davantage les crypto-Bourses centralisées et les prestataires de services de hosted wallet.

Un des exemples les plus marquants des risques de stabilité inhérents aux stablecoins non réglementés est à ce jour l’effondrement du TerraUSD, début mai 2022. La confiance dans cette monnaie, qui promettait la parité avec le dollar américain, s’est érodée en quelques minutes. Cet incident a déclenché des ondes de choc ressenties à travers tout l’univers des crypto-actifs. Cela a ravivé l’inquiétude des autorités de surveillance financière quant aux risques croissants que le secteur des stablecoins fait courir aux marchés traditionnels, dans la mesure où il est de plus en plus intégré dans les systèmes bancaires et de paiement que l’on connaît.

Les promesses non tenues des crypto-monnaies

Outre les stablecoins, des crypto-monnaies basées sur des algorithmes ont aussi récemment chuté de manière vertigineuse. Après avoir échoué à s’imposer en tant que moyens de paiement courants, des «caïds» comme le bitcoin sont désormais disqualifiés en très haut lieu, au motif qu’ils seraient impropres à servir de réserve de valeur. La Présidente de la BCE, Christine Lagarde, considère même que les crypto-monnaies sont «sans valeur».

Son collègue au directoire de la BCE, Fabio Panetta, reconnaît qu’il existe une demande croissante de moyens de paiement décentralisés assortis de nouvelles fonctionnalités. Il concède en outre que si les banques centrales et les intermédiaires assujettis à une surveillance ne peuvent pas répondre à cette demande, d’autres le feront à leur place. Il ouvre ainsi une brèche pour le projet d’euro numérique de la BCE, actuellement en phase exploratoire.

Il laisse entrevoir qu’une phase de réalisation de trois ans pourrait démarrer fin 2023. Celle-ci permettra de développer et tester les solutions techniques appropriées ainsi que les accords commerciaux nécessaires à la création d’un euro numérique. L’introduction de ce dernier à grande échelle interviendra donc au plus tôt début 2027.

Que fait la Suisse?

Face à l’augmentation rapide de la demande de monnaies numériques, le Conseil fédéral et la Banque nationale suisse (BNS) n’ont pas tardé à s’emparer du sujet. Ils sont très vite arrivés à la conclusion que pour l’heure, un franc numérique émis par la BNS et destiné au grand public ne se justifiait pas. Or, cela signifie aussi qu’un beau jour, la Suisse risque de se trouver dépourvue d’un franc numérique accessible à tous et assorti de fonctionnalités spécifiques, ce qui pourrait constituer pour elle un handicap sérieux.

Aussi avons-nous indiqué dès janvier, dans un article d’opinion, que des modèles d’affaires innovants dans le trafic des paiements et dans les transactions impliquant des titres numériques nécessitaient des moyens de paiement stables assortis de fonctionnalités spécifiques. Nous ferions donc bien de réfléchir au concept que nous aimerions voir en Suisse à l’avenir.

L’idée d’une émission privée de stablecoins par un intermédiaire assujetti à une surveillance gagne du terrain au sein des autorités et de la branche, pour deux raisons: d’une part, on assurerait ainsi la stabilité monétaire sans avoir à subir les inconvénients d’une monnaie numérique de banque centrale et, d’autre part, les monnaies numériques non réglementées n’inspirent pas suffisamment confiance pour avoir un réel avenir en termes d’acceptation et de diffusion comme moyen de paiement généralisé.

A l’heure actuelle, l’ASB se consacre donc en priorité aux formes que pourrait prendre l’argent numérique ainsi qu’à la configuration optimale de ce dernier. Un moyen de paiement tourné vers l’avenir doit être stable par rapport au franc suisse, librement convertible et aussi ouvert que possible, tout en étant utilisable par un large public. Le secteur bancaire est en train d’examiner si et comment il s’impliquera dans la conception d’un moyen de paiement programmable en tant que bien public, lequel est important pour l’économie suisse de demain.

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Rédacteurs

Martin Hess
Résponsable politique économique
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