Opinions
25.09.2020

La Suisse, pionnière en matière de technologie des registres distribués

Aujourd’hui, le Parlement a pris les décisions permettant à la Suisse d’être un leader mondial de la TRD sur le plan législatif également. Pourquoi? Et qu’implique le texte adopté pour d’autres champs d’activité aux débouchés prometteurs? Voici quelques pistes de réponse.
Article de Simon Ruesch

Encadrer un secteur d’avenir

Le texte adopté aujourd’hui par le Parlement crée la sécurité juridique tant attendue pour les applications de la technologie des registres distribués (TRD) dans le secteur financier. Il donne à la Suisse la possibilité de se positionner comme un pôle d’attraction pour les entreprises de TRD, tout en préservant l’intégrité et la bonne réputation de sa place financière et économique. Il ouvre dès lors la voie à la poursuite, voire à l’intensification, des travaux menés dans le cadre de nombreux projets prometteurs.

Le secteur de la finance examine ainsi l’application de la TRD à la tokenisation d’actifs financiers destinés au négoce (Swiss Digital Exchange, SDX) et aux opérations de trade finance. Celles-ci génèrent une grande quantité de documents papier pour une transaction «donnant-donnant» classique. La procédure traditionnelle est fortement ralentie par le fait qu’elle implique de nombreux intervenants qui ne se connaissent généralement pas. Le recours à la TRD réduit considérablement la durée d’exécution de ces transactions.

Qu’est-ce qu’un token?

Dans le contexte de la TRD, un «token» désigne la représentation numérique d’un actif et des droits et obligations qui lui sont liés. Cette représentation est en général inscrite sur une blockchain, qui constitue une forme de TRD et n’est rien d’autre qu’une liste, extensible à l’infini, de suites de données (les «blocs») mises bout à bout pour former une chaîne et sécurisées par cryptographie. La FINMA (LIEN) opère une distinction entre les tokens de paiement (tels que le bitcoin), les tokens d’utilité (accès à un usage ou à un service numérique) et les tokens d’investissement (actions, obligations, dérivés et même biens immobiliers ou autres actifs tangibles, comme les œuvres d’art).

Garantir la sécurité juridique par le biais du cadre juridique existant

Le texte relatif à la TRD n’est pas une loi ad hoc, mais consiste en des adaptations ponctuelles et ciblées apportées à des actes législatifs existants, en particulier à la législation sur les valeurs mobilières, à la loi sur l’infrastructure des marchés financiers et au droit régissant la poursuite pour dettes et la faillite. Il intègre donc cette technologie en plein essor au cadre juridique suisse tout lui en ménageant la flexibilité nécessaire.

Le texte sur la TRD est un facteur de sécurité juridique pour de nombreux domaines qui sont au cœur de l’industrie financière: il soumet entre autres les acteurs de la TRD à la loi sur le blanchiment d’argent et à la loi sur les services financiers et, via des adaptations apportées à la loi sur l’infrastructure des marchés financiers, les intègre au cadre réglementaire et au droit de la surveillance. Par ailleurs, des modifications de la législation sur les valeurs mobilières confèrent aux tokens d’investissement ayant la forme de droits-valeurs inscrits dans un registre une fonction similaire à celle des titres auxquels ils sont adossés. Enfin, les adaptations apportées au droit régissant la poursuite pour dettes et la faillite instaurent un droit à la restitution pour les tokens.

Sécurité juridique: passage en revue des adaptations

  • Selon le principe «same business, same rules» et dans le but de préserver l’intégrité et la réputation de la place financière suisse, le champ d’application de «législations transversales» telles que la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) ou la loi sur les services financiers (LSFin) est étendu aux nouveaux acteurs faisant appel à la TRD.
  • Par ailleurs, des modifications apportées à la législation sur les valeurs mobilières confèrent aux tokens d’investissement ayant la forme de droits-valeurs inscrits dans un registre une fonction similaire à celle des titres auxquels ils sont adossés. Du point de vue de la législation sur les valeurs mobilières, les actions «tokenisées» seront ainsi traitées de la même manière que les actions classiques.
    L’ajout d’un nouveau type d’autorisation dans la loi sur l’infrastructure des marchés financiers (LIMF) permet en substance d’intégrer les infrastructures de marchés financiers basées sur la blockchain au cadre réglementaire et au droit de la surveillanc.
  • Les adaptations apportées à la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) permettent aux investisseurs de prétendre, en cas d’insolvabilité, à la restitution pour les tokens dans la perspective d’une indemnisation. La tenue de comptes collectifs est par ailleurs reconnue, et le droit à la restitution est considéré comme acquis pour autant que les actifs financiers soient affectés à une communauté patrimoniale et que la part de la fortune de cette communauté revenant à chaque investisseur puisse être établie.
  • Pour finir, une adaptation de la loi sur les services financiers (LSFin) décharge les systèmes de négoce basés sur la TRD et les prestataires de services financiers qui opèrent exclusivement pour une clientèle institutionnelle ou professionnelle de certaines formalités administratives, telles que l’affiliation à un organe de médiation.

Quand le consensus suisse fait office de catalyseur

La Suisse est souvent décrite comme une démocratie du consensus dont les rouages politiques tendent à tourner posément. L’exemple du texte sur la TRD démontre que ce système, parfois critiqué pour sa force d’inertie, comporte des avantages qui peuvent agir comme des catalyseurs dans certaines circonstances. Au lieu de laisser une majorité exercer le pouvoir, c’est la recherche d’un consensus et le dialogue constructif entre tous les acteurs politiques qui sont privilégiés. Ce dialogue permanent favorise l’établissement de canaux de communication stables et ouverts. De la sorte, tous les acteurs politiques engagés ont la possibilité de prendre part aux débats en amont et en continu. Les débats autour de la TRD sont exemplaires à cet égard.

Autorités, instances politiques et secteur financier: le dialogue a fonctionné

Très tôt dans le processus, le secteur financier a ainsi pu exposer aux instances politiques et aux autorités quelles opportunités et quelles sources de préoccupation il avait identifiées dans le domaine de la TRD. L’expertise du secteur financier a du reste été expressément sollicitée par les instances politiques et les autorités. La recherche de consensus entre tous les acteurs (autorités, instances politiques, associations professionnelles, etc.) a été lancée très tôt et a été menée avec succès, ce qui a facilité le travail des autorités chargées d’élaborer le texte. Après quelques mois seulement, soit fin novembre 2019, le Conseil fédéral a pu transmettre au Parlement un texte précis et politiquement acceptable. Le Parlement n’y a d’ailleurs apporté que de rares mais pertinentes adaptations. Le Conseil national (192 voix pour, 0 contre) et le Conseil des Etats (42 voix pour, 0 contre) ont ensuite approuvé le texte à l’unanimité lors des sessions d’été et d’automne. Le Parlement a ainsi donné son feu vert, sans la moindre réserve. Un signal on ne peut plus clair.

Nationalrat

Ständerat

Feu vert: En adoptant à l’unanimité le texte sur la TRD, les deux Chambres ont envoyé un signal on ne peut plus clair.

La Suisse doit miser sur ses atouts, y compris hors de la TRD

Par ce signal, le Parlement montre qu’il comprend toute l’importance d’offrir à l’économie suisse des opportunités et des conditions-cadre compétitives et qu’il y est sensible. C’est cet état d’esprit qui devrait le guider lors de l’examen de tous les projets de lois et, plus largement, indiquer à la politique suisse la direction à suivre.

Or, ces prochains temps, les occasions ne vont pas manquer pour le Conseil fédéral, le Parlement et le peuple d’aborder de manière aussi exemplaire des projets législatifs stratégiques: les autorités s’emploient actuellement à identifier les normes formelles inadaptées aux modèles numériques, travaux qui pourraient – et devraient – se traduire par des modifications législatives visant à rendre la Suisse plus compatible avec les technologies numériques. Le peuple aura pour sa part à se prononcer, probablement au début de l’an prochain, sur la création de moyens d’identification électronique (e-ID) harmonisés au niveau suisse.

Il est essentiel pour la prospérité de la Suisse que ces opportunités – qu’elles relèvent ou non de la TRD – soient identifiées et mises à profit en temps utile. Le texte sur la TRD qui vient d’être adopté et le rôle de pionnier qu’il confère à notre pays doivent nous le rappeler et nous inspirer.

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