Le taux directeur de la BNS entre le marteau et l’enclume
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C’est manifeste depuis la crise liée au coronavirus: la politique de taux d’intérêt de la Banque nationale suisse (BNS) est prise entre le marteau et l’enclume. Le marteau – les symptômes de la crise et les exercices d’assouplissement monétaire à l’étranger – tape sans ménagement sur les taux d’intérêt. Mais il y a l’enclume – le taux plancher. Le taux directeur reste donc inchangé à -0,75 %.
Pas de nouvelle baisse des taux
Parlons d’abord de l’enclume: dans ses dernières décisions de politique monétaire, la BNS n’a pas ménagé ses efforts pour apporter le meilleur soutien possible à l’économie dans la crise liée au coronavirus. Pour autant, elle n’a pas touché aux taux d’intérêt, ce qui est réjouissant et montre qu’au regard des risques encourus, elle juge peu efficace une nouvelle baisse des taux. La stabilité des prix et l’économie n’auraient pas grand-chose à y gagner. Un restaurant sans clients n’a que faire d’une baisse du taux directeur.
En prenant les initiatives annoncées en mars, la BNS apporte exactement la contribution qu’il fallait au train de mesures arrêté conjointement par les autorités et les banques pour atténuer l’impact économique de la propagation du coronavirus. Dans cette première phase de la crise, cela permet aux banques d’alimenter suffisamment les PME en crédits sans pour autant se déstabiliser elles-mêmes.
Pas le moment pour une hausse des taux
Venons-en au marteau: la crise liée au coronavirus n’a absolument pas fait disparaître d’un coup les conséquences fâcheuses des taux d’intérêt négatifs. Les arguments énoncés contre le régime des taux d’intérêt négatifs dans l’étude de l’Association suisse des banquiers (ASB) demeurent valables. Les taux d’intérêt négatifs recèlent avant tout de nombreux risques structurels de stabilité.
Soucieuse du taux de change, la BNS a opté jusqu’ici contre un abandon des taux d’intérêt négatifs. A la fin de l’année dernière, elle tablait encore sur une appréciation forte et rapide du franc suisse si le différentiel de taux par rapport à la zone euro devenait positif. Elle anticipait dans la foulée une inflation négative et un ralentissement conjoncturel.
Des études aux résultats édifiants
Dans une étude commandée par l’ASB, le Professeur Daniel Kaufmann, de l’Université de Neuchâtel, vient d’examiner à la loupe le marteau qui pèse de tout son poids sur les taux d’intérêt. Il s’appuie à cet effet sur différents scénarios d’évolution des taux en Suisse et dans la zone euro. Son analyse aboutit à la conclusion qu’en cas d’abandon rapide de la politique de taux bas, le franc suisse s’apprécierait de 3 à 7 % selon le scénario.
Cela corrobore une étude récente de la BNS. Réalisée selon une approche comparable, cette étude montre qu’au cours de la première décennie du XXIe siècle, une hausse des taux de 1 % aurait entraîné une appréciation du franc suisse de 3 à 4 %.
Sans surprise, le Professeur Kaufmann relève qu’il y aurait des secteurs gagnants et des secteurs perdants. Si l’industrie exportatrice pâtirait d’une hausse des taux, les secteurs à vocation nationale seraient moins affectés, voire tireraient profit d’une normalisation. Mais toute hausse des taux a tendance à réduire l’activité économique et les prix à la consommation.
Des alternatives possibles aux taux d’intérêt négatifs
Cette conclusion repose toutefois sur l’hypothèse un peu rapide qu’en zone positive comme en zone négative, les variations de taux ont le même impact sur l’économie. Le Professeur Kaufmann présente par ailleurs des alternatives qui faciliteraient la normalisation. La plus efficace d’entre elles, selon lui, consisterait à relever l’objectif d’inflation. La perspective d’une hausse de l’inflation se traduit habituellement par une hausse des taux d’intérêt.
Ces résultats sont rassurants dans la mesure où, si la normalisation du taux directeur s’effectue de manière contrôlée, avec une bonne communication et dans une fenêtre temporelle propice, le taux de change ne crèvera pas automatiquement tous les plafonds, comme on le redoute souvent. L’appréciation du franc suisse devrait rester tout à fait modérée.
A l’évidence, la crise actuelle liée au coronavirus n’est pas un moment opportun pour durcir la politique monétaire. Selon une analyse de scénarios du SECO, la Suisse pourrait perdre cette année jusqu’à 10 % de son PIB – une chute sans précédent. Mais il faudra se séparer du taux plancher – l’enclume – dès que le marteau relâchera sa pression et que l’on retrouvera ainsi une marge de manœuvre en matière de politique de taux.